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transfenomenale
24 mai 2013

Le nouveau cannibal?

Jeudi 23 mai
Lilia – Ploumanach : 130 km et des poussières
Le plus difficile au matin du quatrième jour c’est de poser son portérieur tout sensible sur une selle toute dure. Une fois cette corvée passée, le reste c’est (presque) de la rigolade. Aujourd’hui, le vent qui soufflait par bourrasques hier, est tombé. Si, si. Il n’a donc strictement aucune influence sur les 26km parcourus dans la première heure. Là c’est notre entraînement pointilleux et notre hygiène de vie irréprochable qui conditionnent une telle performance. Dans le peloton, on entend déjà fuser les: "putain j’ai des jambes de feu aujourd’hui, qu’est ce que je vais leurs mettre!" Gérard lance un avertissement collectif : " Roulez pas comme ça les gars sinon on va arriver trop tôt à l’hôtel. Ils auront même pas fait les lits!!". Mais personne ne l’écoute. Mû par une rancœur tenace, une vieille histoire de vent, déjà, toujours pas digérée, Damien D. décide de durcir la course très vite et lance son fidèle grégario Régis D. (précision: ils portent effectivement le même nom, mais ils ont certifié ne pas être ensemble. Bien qu’ils aient dormi dans le même lit… Avec les jeunes de maintenant on ne sait vraiment plus quoi penser…). Régis D. place donc une grosse minasse qui éparpille le peloton. Les plus expérimentés restent à l’arrière sans s’inquiéter de cette échappée matinale qui n’ira pas loin vu "que de toutes façons ils connaissent pas le parcours alors… " (mais en fait, personne ne connaît vraiment le parcours). Après avoir compté 16’37 d’avance, l’échappée est effectivement reprise à un carrefour mal fléché à l’orée de la forêt de Brocéliande. Porté par la poésie du lieu, le peloton se plonge dans un certaine rêverie mélancolique et flâne à travers les bois à la recherche d’un authentique Leroy Merlin.
"Mais t’es con ou quoi? C’est pas ici la forêt de Brocéliande
  • Ah bon, vous êtes sûrs ? Parce qu’on est pas en Bretagne ici ?
  • Ben si
  • Et y’a pas des arbres ?
  • Ben si
  • Alors c’est quoi le problème ?
  • Ben c’est pas la forêt de Brocéliande c’est tout. C’est pas ici, point.
  • Alors la rêverie, la poésie du lieu et Leroy Merlin, tout ça c’est des conneries ?
  • Ben oui.
  • Oh mince, la grosse boulette. Dites les gars, si possible j’aimerais bien que cet épisode ne figure pas sur le blog hein. On pourrait étouffer l’affaire, non ?
  • T’inquiètes pas, tu peux compter sur nous, personne n’en saura jamais rien. On enterre le truc en puis c’est tout, parole d’honneur."
Bref, le peloton musardait en papotant dans une ambiance de franche camaraderie. Damien D. cherchait un coach pour le PSG, Patrick C. tentait d’expliquer comment il avait pu se perdre la veille en tournant autour d’un rond-point pendant 27 minutes et Thierry… Ben merde il est où Thierry ? Thierry, donc, contrôlait l’ensemble du peloton depuis un poste stratégique très reculé. Ca sentait l’étape de transition à plein nez. C’était sans compter sur le panache à l’état pur. Tapi dans l’ombre à l’arrière du groupe et muet depuis au moins 28 secondes pour se faire oublier, Gérard plaçait un de ces démarrages qui marque l’histoire du cyclisme. Le signe d’un immense champion, vexé par les critiques d’une certaine presse après sa soit disant défaillance de la veille dans l’ascension du Menez hom. Sans un regard pour le peloton, il fendait la route lançant juste "bon les gars, j’ai pas que ça à foutre, il faut que je sois à l’heure pour voir jouer les filles de l’OL." Rapidement, il prit 20 mètres d’avance, puis 21, puis 22, jusqu’à 23,70 m (avance maximale) sur un peloton subjugué par tant de bravoure et conscient de vivre un moment d’histoire. Quelques équipiers, chantres de pratiques d’un autre temps, proposèrent bien des valises de billets au reste de la troupe pour lever le pied. Mais tous refusèrent, Damien ajoutant même : " on peut pas aller moins vite sinon on tombe ". Les jambes de Gérard tournaient au rythme d’un stacatto vibrant, voir même de stacatti. La victoire ne pouvait lui échapper. Malheureusement, dans son souci de perfection, Gérard, pour s'alléger et mettre toutes les chances de son côté, avait laissé dans le camion, ses lunettes et toute forme de sens de l’orientation. A six kilomètres de Morlaix, il ratait le panneau indiquant la direction à gauche et mettait fin de facto à une belle épopée. Emu, le commissaire de course lui accordait 8 minutes 37 de bonification et la victoire d’étape. Gérard prend donc le maillot de leader, le maillot du meilleur grimpeur, celui du baroudeur, du puncheur, du classement par équipe, du meilleur jeune, du meilleur vieux et même le maillot de bain de Thierry. " Il va pas avoir un peu chaud avec tous ces maillots ? " lance une voix compatissante dans le peloton pendant que Gérard répond à la presse. " Je suis une sorte d’anomalie de la nature, dit-il humblement. A tous les tests, sanguin, cardiaque, aérobique, anaérobique, je suis le plus nul, partout. Et pourtant, sur la route je les massacre. C’est comme ça, c’est la nature, ils peuvent rien y faire. Mais je ne suis pas le nouveau cannibale, je leur laisserai gagner des critériums."
Après une frugale collation à base essentiellement de saucisses et de chantilly, le peloton pouvait reprendre sa route. La fin d’étape était juste marquée par les numéros de Damien dans les bosses. S’il n’avait pas 3 jours 8 minutes et 37 secondes de retard, il aurait presque pu jouer le général. A quelques kilomètres de l’arrivée, Gérard tentait un nouveau coup d’éclat. Perdant tout le monde dans les rues de Lannion avec une facilité déconcertante, il se voyait déjà accueillir ses petits camarades au bar de l’hôtel, sirotant un Perrier-menthe bien corsé en regardant le foot. Le sort en a encore décidé autrement. "Je comprends pas. La dame dans le téléphone m’a dit de tourner à droite et je me suis retrouvé à Tregastel " déclarait Gérard après avoir coupé le moteur du camion. Bon dernier de l’étape, il n’est pas encore assuré de la victoire finale à la veille de l’étape reine du Cap Fréhel (à suivre).
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